jeudi 18 avril 2013

P comme... Albert PRUDHOMME, lettres de guerre

Mon arrière-grand-père Albert PRUDHOMME fut tué dès les premiers jours de la Première Guerre Mondiale. Il laissait derrière lui une veuve de 20 ans avec 3 enfants en bas âge et toute une série de lettres écrites depuis les tranchées.



Fils de François PRUDHOMME et de Marguerite Félicité OLLIER, Marc Albert Joseph PRUDHOMME est né le 08/04/1885 à Laxou. Ses parents s'installent rapidement à Champigneulles, et c'est dans ce village qu'il va rencontrer Lucie MERKLEN, de 9 ans sa cadette, "La plus jolie fille de Champigneulles" disait ma grand-mère.

En 1910, les amoureux songent à se marier, mais les parents de Lucie la trouvent trop jeune et remettent le mariage à plus tard. Albert est néanmoins autorisé à faire sa cour. Voilà la lettre [1] qu'il écrit à Lucie le lendemain de sa demande :

Lettre d'Albert à Lucie du 13/06/1910
Champigneulles le 13 Juin 1910
Ma chère Lucie

C'est avec plaisir que j'ai eu ce matin une réponse affirmative de vos parents à propos de notre entretien d'hier.
Comme je le prévoyais ils ont rejeté à un peu plus tard la solution définitive donnant comme raison votre jeune âge en quoi ils ont entièrement raison.
Je vous raconterai comme je leur ai transmis nos idées ; c'était plutôt embarrassant pour
moi ; on n'est pas habitué à ce genre de conversation. Enfin je m'en suis assez bien tiré, vu qu'ils étaient à peu près fixés sur nos intentions.
Votre mère m'a autorisé à vous transmettre cette bonne nouvelle, en me chargeant
de bien des compliments pour tous.
J'attendrai avec impatience confirmation de ma lettre, ce qui me permettra de vous en adresser d'autres que vous pourrez considérer comme un gage précieux d'une amitié constante
et sure.
Votre tout dévoué
A Prudhomme


En 1911, de passage à Epinal, il envoie une carte à Lucie : 


Je n'ai d'autre miroir que vos grands et beaux yeux.


Albert et Lucie se marient le 3 juin 1911 : Lucie n'a que 17 ans.
Les enfants vont se succéder : Jeanne en mars 1912, Suzanne, ma grand-mère, en mars 1913, et Odette en août 1914.


Associé avec un certain PARRY, Albert devient entrepreneur de travaux publics, comme son grand-père maternel Jean OLLIER.

Caporal réserviste au 37ème RI, 5ème Compagnie, Albert est mobilisé dès les premiers jours d'août.

Le 1er août, il est à Nancy et écrit à Lucie :


Lettre d'Albert à Lucie 01/08/1914

Ma chère Lucie

Je suis arrivé en bon port.
Tout le monde ici espère que cela n'aura pas de suite.
Recommande bien à Parry de faire tout discrètement.
D'aller toucher la prime du camion
De se munir pour y aller d'une copie de notre acte d'association qui se trouve dans le dossier des actes notariés qui se trouve lui même dans un paquet de dossiers divers.
En cas où il ne le trouverait pas, dis lui de dire à la trésorerie que nous avons déjà produit cet acte pour toucher une prime d'entretien du camion.
Dis lui de mettre le reçu pour le cheval de côté.
Recommande bien à ton père de veiller attentivement sur vous car en ce moment les Clausse, les Liegel ne sont pas partis - etc ...
Logez tous ensemble dans la maison de maman et soyez bien unis.
Embrasse tout le monde pour moi.

Albert Prudhomme
Caporale réserviste
37è régiment d'infanterie
5è Cie

Je t'embrasse

(au-dessus de la date, il écrit "Ne donner d'argent qu'à nos ouvriers exclusivement")


Son régiment va rester dans les villages autour de Nancy, l'objectif étant de protéger la ville. Albert est donc tout près de chez lui pendant quelques semaines. Il va écrire presque quotidiennement à sa mère Félicité et à son épouse Lucie. Ces lettres ont été conservées avec soin depuis cette époque, et il est très émouvant de pouvoir les lire aujourd'hui.

Albert écrit ses premières lettres sur des feuilles à entête de l'entreprise de travaux publics dans laquelle il est associé. Il prend soin de préciser à chaque fois l'endroit où il se trouve, à la place de la commune pré-imprimée.

En plus de donner de ses nouvelles et de leur en demander, Albert donne à sa mère et son épouse des recommandations concernant l'entreprise, conseille de garder l'argent plutôt que de le mettre à la banque, demande de ne payer que les salariés. Il indique aussi les personnes il a rencontré.

Ainsi, le 19 août, il indique qu'il a vu son beau-frère Alphonse : "J'ai vu Alphonse à Jeandlincourt, il m'a apporté des oeufs et une saucisse ; il a eu de la veine d'être libéré."

Le 2 septembre, soit 15 jours après la naissance de sa fille, il est très heureux que l'enfant soit une fille. Il écrit "Tant mieux : au moins elle ne fera pas de la chair à canon"
Le 9, il précise qu'il est content du prénom Odette choisi par sa femme.

Le 15 septembre, il écrit à sa mère qu'il a eu la visite de Lucie à Dombasle.

A partir de début septembre, il ne précise plus clairement l'endroit où il se trouve.

Néanmoins, il code le lieu comme sur l'extrait ci-dessous où il se trouve à Minorville :

Extrait de la lettre d'Albert à Lucie du 18/09/1914

Il est donc passé successivement par Nancy, Sivry, Nomeny, Cercueil, Jeandlaincourt, Dombasle, Bouvron, Manonville, Minorville. Son régiment est ensuite transporté vers le nord par Rouen, Amiens.

Le 22 septembre, il écrit une dernière lettre à Lucie :


Lettre d'Albert à Lucie du 22/09/1914

22 septembre 1914

Ma chère Lucie

Quelques mots du cantonnement en arrivant d'une longue marche. A part un peu de fatigue la santé est bonne. Et vous ? Voilà 6 jours que je n'ai pas de nouvelles. J'espère que vous allez tous bien. et Emile toujours pas de nouvelle ni Parry ?
Enfin j'espère que bientôt nous pourrons parler ensemble de ces mauvais moments de guerre.
Embrasse pour moi les gosses, tes parents, Jeanne, Alphonse.
Ton Albert
A. Prudhomme

En marge, il écrit "Environ d'Amiens"


Albert sera tué à l'ennemi le 25 septembre 1914 à Chuignes (Somme). Il ne connaîtra jamais sa plus jeune fille Odette.


J'ai découvert dernièrement les journaux de marche sur le site SGA : à partir de celui du 37ème RI [2], je vais pouvoir suivre plus précisément le parcours d'Albert, et connaître les événements qui ont précédé son décès.

Sources :
[1] Lettres envoyées par Albert PRUDHOMME à sa femme Lucie et sa mère Fécilité
[2]  Site Internet Mémoire des hommes (SGA), journal de marche du 31/07/1914 au 16/12/1916 du 37ème régiment d'infanterie,  http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/arkotheque/inventaires/ead_ir_consult.php?fam=3&ref=6&le_id=257

1 commentaire:

  1. quelle chance d'avoir tous ces documents en votre possession ; et merci de les partager avec nous

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