En parcourant les registres paroissiaux, nous avons tous déjà rencontré des actes insolites. Les curés utilisaient parfois leurs registres pour écrire tout autre chose que les habituels actes de baptêmes, mariages et sépultures.
Au cours de mes recherches, j'ai plusieurs fois rencontré de tels actes, mais ne les ai pas toujours notés. Il m'en reste cependant quelques exemples.
A Colombier-en-Brionnais où je suis un habitué des registres pour y avoir une importante partie de mon ascendance bourguignonne, le curé a écrit, en 1709, un petit mémento, sur un coin de page. Il y fait état du rude hiver qui a sévi cette année-là, et qui a provoqué une importante famine, entraînant le décès d'un très grand nombre de ses paroissiens.
Extrait des registres de Colombier en Brionnais, 1709[1] |
"Dans l'année 1709, le fort de l'hyvert reprit la veille des roys par une rigoureuse bize et par une forte gelée qui dura le reste du mois et davantage.
Le froid fut si terrible et si cruel que les noyers, les chataigners et les cerisiers et quantité d'autres arbres moururent ; mais le plus grand mal, fut que les froments et les seigles gelerent en terre et se perdirent entiereme(nt). Ce qui causa une chere année qui na guere eue de semblable car la famine fut si grande que lon fut contraint de manger pendant longtemps du pain de fougere et de gland, et que la cinquieme partie du peuple mourut de faim, surtout les petits enfants.
Enfn l'on ne peut se ressouvenir d'un si triste temps que les cheveux se herissent, surtout quand l'on se remet devant les yeux, comme la faim avait défiguré le visage des pauvres qui etaient hideux et epouvantables a voir, qui jettaient sans cesse des cris dignes de compassion, et qui tombaient souvent morts par les chemins.
Dans la parr(oiss)e de collombier qui est de 200 communiants tou au plus, on y fit depuis paques jusqu'a la St Martin 72 enterrements, les deux tiers de petits enfants."
Sur la dernière page du registre de 1712, le même curé à écrit la traduction du psaume Miserere sur une page entière.
Extrait des registres de Colombier en Brionnais, 1712[1] |
L'utilisation d'une page complète pour rédiger autre chose que des actes est assez surprenante. Le papier était rare et cher à l'époque, et parfois le curé en manquait tellement qu'il était obligé d'inscrire les actes sur les fins de pages des années précédentes.
Pourquoi cette traduction alors qu'il doit être un des rares à lire le registre ? Faisait-il des révisions de Latin ?
On trouve aussi dans les registres paroissiaux des baptêmes... de cloches ! En effet, lors de l'installation d'une nouvelle cloche dans un clocher, il était habituel de la baptiser. Elle avait donc un parrain et une marraine, qui étaient souvent les généreux bienfaiteurs ayant subventionné leur "filleule". Exemple à Saint-Gengoux-le-National (anciennement le Royal) en 1788 :
Baptême d'une cloche à Saint-Gengoux - 1788[3] |
"Nous soussigné Mr Jacques Baylon licensié es lois Curé de la ville de St Gengoux
ayant pouvoir de Monseig(eur) notre Eveque de Chalon avons béni dans l'Eglise
paroissiale dudit lieu la cloche de notre nouvel hôpital sous le nom de
Marie Augustine Claudine. Son parrain a été messire Claude Perroy de
La Forettille, seigneur de Sercy et Saint-Gengoux, conseiller m(aîtr)e à la chambre des
comptes de Bourgogne, et la marraine a été Dame MadameMarie Augustine
de Chappuis de Rozieres épouse de Messire Abel-Michel Bernard de La Vernette
chevalier seigneur de St Maurice, La Rochette et autres lieux, capitaine de
cavalerie au régiment d'Orléans, lieutenant du Roi des villes de Mâcon
et pays Mâconnais en survivance qui se sont aussi soussignés, après laquelle
cérémonie nous avons fait raporter ladite cloche processionellement au clocher
dudit hôpital où nous avons clébré poue la première fois la messe solennelle
du St Esprit, en présence et assité de plusieurs de Messieurs nos confères et de
Mess(ieurs) les administrateurs dudit hôpital qui se sont signés le quinze mai
mil sept cent quatre vingt huit."
Ce genre de pratiques existait encore au début du 20ème siècle et mes parents viennent de retrouver une photo de 1913 dans les papiers de Denise. C'est son arrière-grand-mère Clémentine AUBURTIN veuve CABAILLOT qui était la marraine.
La cloche Clémentine baptisée le 5 octobre 1913 à Nancy (collection personnelle) |
Je finirai avec mon acte insolite préféré : l'acte de décès d'une certain Gabriel Charbonnier à Saint-Martin-en-Bresse. Cet acte m'avait été envoyé par un adhérent lorsque j'étais webmaster de l'association la Géniale Généalogie du 71, afin que je le mette dans la section "Burgondises" du site.
Acte de sépulture de Gabriel Charbonnier - 1712 - Saint-Martin-en-Bresse[4] |
"Le 3e may 1712 est mort en N.S. apres avoir esté confessé et munit du St viatique Mtre Gabriel Charbonnier praticien à St Martin en Bresse agé de quatre vingt quatre ans et le lendemain a esté inhumé au cimetière dud. lieu en présence de Jean Peirillet marguillier qui ne signe.
Il faut remarquer que led. Charbonnier a esté d'une bonne complexion puisque les anciens de la paroisse assurent l'avoir vû plusieurs fois manger des grenouilles qu'il sortait du marest, avaller tout en vie, et avec la plume plusieurs oiseaux comme moineaux, merles et autres qu'ils ont ouït piner dans son estomact.
Il n'avallait avec pas moins de courage le poisson lorsqu'il se rencontrait en quelque pesche car on luy a vû avaller sans peine des poissons qui n'étaient pas des plus petits comme poisson blanc, tanches, et ce qui est de plus surprenant c'est qu'il n'épargnait point les perches quelque rude que soit leurs écailles et leurs nageoires. Il était si expeditif à avaller vif le poisson qu'on avoir coutume de dire que Charbonnier avait aussy tot avallé une perche qu'un oeuf frais ; un nommé Marcelot Levoy a vu un jour a la pesche de l'étang bernicault qu'il avallait comme pilules son poisson luy dit, Mtre Charbonnier je vous donne ma pesche pourvue que vous la mangié toute, a quoy il repliqua, je n'en puis manger que mon saoul, ce qu'il fit avec appetit, et au grand etonnement de ceux qui me l'ont raconté ; mais ce ne fut pas sans en estre incommodé ; car il fut trois jours sans pouvoir rien manger, croyant mesme estre empoisonné si grande etait la corruption dans son estomact qu'il luy causait des nausées etranges qu'il dissipa a force de vin dans la suitte, c'est la derniere fois qu'on dit qu'il mangeat du poisson en vie.
On dit de plus qu'il fit une fois faire un chapeau gras d'un nommé Claude Paleau des Bourdillion, apres l'avoir couppé en roüelle, et l'avoir assaisonné de beurre, de sel et de poivre, qu'il mangea a la veüe de tous le monde sans en estre incommodé, non plus que de six verres de son urine qu'il bû consecutivement quelques jours apres. Il avallait aussy et sans peine les oeufs de poule avec
la coque. On pourrait rapporter plusieurs autres de ses actions que la charité m'oblige de passer sous silence ayant mesme été temoing de la penitence qu'il en a fait.
Tout cela me paraiterait impossible si Charbonnier mesme, et ceux qui l'ont vû ne m'avait assuré de la verité aussy bien que de la peine qu'il a prit de planter sur le cimetiere les ormes, tilieux, et autres arbres qui y sont presentement, et qui en fons l'ornement ; [arbres plantés sur le cimetiere depuis environs trente ans] aussy bien que ceux qui sont dans la place en foy de quoy je me suis soussignés avec les témoins cy bas nommés"
Je crois bien qu'on a retrouvé Gargantua !
Sources :
[1] Extrait du registre de 1709, Site Internet des Archives Départementales de Saône-et-Loire (AD71), http://www.archives71.fr/ark:/60535/s00513996a48f467/5139ae6ec91dd, Colombier-en-Brionnais, Baptêmes, Mariages, Sépultures, 1703-1743, E Dépôt 109 vue 13
[2] Extrait du registre de 1712, AD71, http://www.archives71.fr/ark:/60535/s00513996a48f467/5139ae6ecdffb, Colombier-en-Brionnais, Baptêmes, Mariages, Sépultures, 1703-1743, E Dépôt 109 vue 18
[3] Acte de baptême d'une cloche, 15/05/1788, AD71, http://www.archives71.fr/ark:/60535/s00513997470e3ed/5139b885369c1, Saint-Gengoux-le-Royal, Baptêmes, Mariages, Sépultures, 1778-1788, Collection communale vue 199-200
[4] Acte de sépulture de Gabriel Charbonnier, 03/05/1712, AD71, http://www.archives71.fr/ark:/60535/s005139968233812/5139ab2b50a98, Saint-Martin-en-Bresse, Baptêmes, Mariages, Sépultures, 1708-1724, E dépôt 492 vue 39-40
Article très bien documenté. Je tombe ponctuellement sur des registres où le curé fait des mentions marginales. Ce n'est en général pas très gai (incendie, famine...) mais nous offre aujourd'hui un témoignage exceptionnel et émouvant !
RépondreSupprimerA bientôt,
Guillaume